Il s’agit là du supplément mensuel du quotidien Haratch (Յառաջ En avant). La collection comprend 351 numéros sortis de presse du journal, 83 rue d’Hauteville à Paris. Le premier numéro porte la date du 5 décembre 1979, le dernier le 5 mai 2009. Il paraît généralement le premier dimanche du mois (expédition aux lecteurs le vendredi précédent). Le format demeure celui du journal, l’intitulé est imprimé à l’encre rouge ainsi que la numérotation. Les textes se développent sur quatre pages. Mais certains numéros spéciaux consacrés à des écrivains célèbres ou à des thèmes dont celui du soixante dixième anniversaire du Génocide, comprennent huit pages. Contrairement au quotidien où ils sont rarissimes, dès le départ Midk ev Arvest accueille des textes en français. Ce qui lui donne le caractère d’une publication bilingue.

Le premier numéro s’ouvre avec un texte d’Arpik Missakian, la directrice du journal, intitulé: “Ne pas reculer, résister, durer”, c’était le sens de l’entreprise éditoriale, dans un contexte difficile où le lectorat arménien se rétrécissait d’année en année. Il fallait créer un support nouveau, relativement indépendant du quotidien où il serait possible de publier aussi bien des textes de création que des articles critiques, des traductions, des études sur les écrivains étrangers, en particulier français, des entretiens aussi bien que des comptes-rendus d’événements artistiques et culturels. L’initiative avait été précédée de quelques réunions au journal dans le courant de l’année 1976, avec la participation de collaborateurs: Krikor Beledian, Zoulal Kazandjian, Haroutioun Kurkjian, Krikor Hampartzoumian, Papkên Bodossian. Malgré le souhait de Missakian, le supplément n’a jamais été dirigé par un comité de rédaction indépendant de la direction du journal. Les numéros ont été préparés tantôt par l’un, tantôt par l’autre des collaborateurs ou tout simplement à partir des contributions reçues directement par la direction de Haratch. Il y avait cependant une règle bien déterminée: ne publier que des textes inédits, ne jamais reprendre des écrits déjà connus par ailleurs et recyclés, veiller sur la nouveauté du sujet ou à la démarche engagée, afin de sortir de l’ornière des republications et des répétitions stériles. La publication de documents, des correspondances d’écrivains du passé ou d’autres pièces d’archives ne fait que confirmer cette règle.

La publication du supplément Midk ev Arvest intervenait au moment où la plupart des revues littéraires et les périodiques arméniens de France dont Andastan de Puzant Topalian avaient disparu et la presse quotidienne ne parvenait plus à se renouveler. Il fallait créer un lieu suffisamment ouvert sur le monde et les cultures environnantes pour donner une impulsion nouvelle aux écrivains issus des communautés arméniennes du Proche-Orient, seuls susceptibles d’assurer la relève de la littérature arméno-occidentale dont Haratch était le partisan le plus déterminé.
En lançant Midk ev Arvest A. Missakian reprenait une idée chère à Chavarche Missakian, son père et le fondateur du quotidien, qui dès le lancement de Haratch en 1925 souhaitait publier en parallèle au journal une revue consacrée exclusivement à l’art et à la littérature. Il avait une certaine expérience en la matière. Il avait lancé l’hebdomadaire littéraire Aztag en 1919-1910, puis le supplément de Azatamart à Constantinople-Istanbul en 1911-1913 où jeune écrivain ami des poètes comme M. Medzarents, Vahran Tatoul et D. Varoujan, il fourbissait sa plume et publiait poèmes et nouvelles. En peu de temps, le supplément hebdomadaire d’Azatamart avait pu attirer la fine fleur de l’intelligentsia arménienne de l’Empire ottoman.

A Paris, déjà dans les années vingt et trente, Haratch consacrait les numéros de samedi à la publication de toutes sortes de textes littéraires: poèmes, nouvelles, articles critiques et polémiques signés par les jeunes écrivains “l’École de Paris”, dont Vazken Chouchanian, Chahan Chahnour, Nighoghos Sarafian, Chavarch Nartouni, Paylag Mikaelian, etc, alors que Hagop Sirouni, Meguerditch Barsamian et d’autres assuraient le rôle de critiques. Avec le déclenchement de la Seconde guerre mondiale et l’arrêt du quotidien, Ch. Missakian condamné à un “chômage contraint” revient à l’idée d’un périodique littéraire. Il publie d’abord en clandestinité Haigachên (deux numéros non datés, 1943?), ensuite Aradzani (trois numéros, 1944-45). Ces “Cahiers de la littérature arménienne” qui devaient à l’origine se poursuivre d’une manière régulière cessent de paraître quand, à la Libération, Haratch fait retour sur la scène de la presse arménienne de France. Visiblement il était difficile de réaliser cette double tâche. Le projet de périodique est abandonné, faute de moyens.

Midk ev Arvest couvre de loin, un champ littéraire et artistique plus vaste que les périodiques mentionnés. On y trouve non seulement la littérature proprement dite mais aussi les arts plastiques, la musique et le cinéma. Les collaborateurs résident dans des zones géographiques des plus diverses, des Etats-Unis, Canada, Argentine, jusqu’au Liban et la Syrie, voire l’Arménie et l’Iran. Un véritable réseau où convergent des courants de pensée fort différents dont font preuve les quelques 500 articles que Midk ev Arvest a publiés sur plus de 33 ans, à raison de 11 numéros par an. Sans être l’expression d’un collectif plus ou moins cohérent, dégagé de tout dogmatisme, toujours un peu en quête du renouveau, le supplément a fini par devenir un espace de création d’une pensée plutôt libre et iconoclaste, une plateforme pour ceux qui attendaient de l’art et de la littérature autre chose que la célébration de l’ancien, une référence en matière de critique littéraire, de réflexion sur les problèmes de l’identité arménienne et de la diaspora. Aussi ne sera t-on pas étonné de lire des écrivains comme W. Saroyan en traduction, des “aînés” de la génération des années Zareh Vorpouni, Hratch Zartarian, Harout Gostandian, mais également le poète et prosateur Vahé Oshagan. A ceux-là il faudrait ajouter les figures de Z. Kazandjian, de HJ. Kurkjian, de K. Beledian, de M. Nichanian. On ne peut s’apesantir sur les domaines des arts plastiques et de la musique illustrés abondamment par les écrits de Alex Berlian et Krikor Hampartzoumian.

Couvrant une période de plus de trente ans, Midk ev Arvest peut être considérée comme la mémoire vivante de la communauté arménienne de France. A l’instar de Haratch, mais plus ancré dans le secteur littéraire et artistique Midk ev Arvest offre un matériau particulièrement riche, inventif et diversifié pour spécialiste des littératures de la diaspora, voire pour l’historien tout court.

Autores:

BELEDIAN Krikor Krikor Beledian est un écrivain de langue arménienne né au Liban en 1945. Maître de conférences de littérature arménienne à l’Institut national des langues orientales...