Les 200 m2 de « l’atelier d’ARAM » n’ont pas suffi à accueillir les 450 invités qui se sont littéralement pressés pour assister à l’inauguration de cet espace contemporain dédié à la préservation, la recherche et la transmission de la mémoire arménienne de France et d’ailleurs. Certains, découragés par l’affluence, n’ont eu d’autre choix que de rebrousser chemin, ce qui ne s’était pas vu depuis longtemps pour ce type d’événement, qui se déroulait un soir de semaine, par temps de pluie et à l’écart du centre ville de Marseille. Des personnalités et de nombreux amis de la communauté arménienne avaient fait le déplacement.
On pouvait noter la présence de Sylvie Andrieux députée et vice-présidente de la région PACA, Henri Jibrayel député et conseiller général des Bouches-du-Rhône, Richard Maillié député, Félix Weygand conseiller général délégué, Garo Hovsépian Maire des 13° et 14° arrondissements, Didier Parakian adjoint au Maire de Marseille et Frédéric Dournayan premier adjoint au Maire des 11° et 12° arrondissements. Pascal Chamassian président du CCAF Marseille Provence, un représentant de la CCI Marseille Provence et de l’association « Mémoire du Camps des Milles » étaient eux aussi au rendez-vous. Conservateurs de musée, documentalistes, enseignants, chercheurs et journalistes ont aussi découvert ce nouveau lieu, à la fois ultra-moderne et chaleureux, favorisant naturellement la convivialité et la bonne humeur qui s’affichait sur tous les visages. Installé dans un ancien atelier artisanal de chaussures, celles et ceux qui avaient connu cet espace n’en revenaient pas de constater combien les travaux de réhabilitation avaient contribué à sa mise en valeur. Les invités ont pu apprécier que la mémoire même du lieu soit conservée : l’imposant balancier, cette machine en fonte de plus d’un siècle qui servait à découper les pièces de cuir, trône à présent au rez-de-chaussée de l’Atelier. Comme le témoin privilégié et inamovible qui a vu ces femmes et ces hommes rescapés de l’enfer, venir gagner leur pain chaque jour pour reconstruire leur vie au cœur de l’un des 111 quartiers de Marseille, à Saint-Jérôme. La tradition arménienne fut respectée avec la cérémonie de bénédiction du lieu et le Hayr Mer chanté par les autorités religieuses. Les orateurs ont ensuite pris place à la tribune.
Le président de l’association Jacques Ouloussian a tenu avant toute chose, avec sobriété et fermeté, à revenir sur le malaise suscité par les propos négationnistes de Jack Lang, qui a mis publiquement en doute la réalité du Génocide Arménien de 1915. Ce qui a naturellement permis au président d’insister sur la nécessité et la pertinence d’une structure comme « l’atelier d’ARAM » qui maintiendra en éveil cette mémoire, que certains essaient encore d’effacer. Jacques Ouloussian a fait un bref rappel des étapes qui précédèrent cette inauguration, rappelant qu’une dizaine de femmes et d’hommes motivés s’étaient réunis il y a plus de 2 ans dans l’ancien local de 30m2 où s’entassaient des trésors d’archives dans des conditions précaires et comment chacun mit ses compétences au service du projet. Il n’a pas oublié de remercier Monsieur Charles Kurdoglian, bienfaiteur de l’association. « Avec trois mille ans d’Histoire, la foi, la langue et la culture arménienne se doivent d’être promues et cultivées en raison de leur esthétique propre et de leur contribution inestimable à l’Histoire de l’humanité » a insisté le président Ouloussian. « C’est la raison pour laquelle l’Atelier d’Aram est ce lieu, libre d’accès, ou chacun pourra entrer, s’asseoir, lire, écouter, être écouté, apprendre, échanger comme s’il était entré, dans un relais réservé aux passeurs de mémoires. Telle est notre ambition. Oui, la mémoire se protège, la mémoire se partage » a martelé Jacques Ouloussian. Aujourd’hui, l’association dispose de très nombreux documents, notamment un exemplaire du premier journal diasporique imprimé en 1885 à Marseille, plus de 3000 livres anciens, 2000 photos d’époque, 3000 périodiques et 300 affiches diverses. Avant de conclure, le président de l’association ARAM a rappelé que « toute cette richesse patrimoniale et mémorielle, d’une grande valeur, sera soigneusement répertoriée par thème, numérisée et mise à disposition, envahissant tout cet espace qui aujourd’hui paraît bien vide ! Pour le moment, nous stockons jalousement ce fonds documentaire. Il faut encore que les travaux engagés soient totalement financés. Ils ne le sont pas. Ensuite va suivre un énorme et coûteux travail d’archivage et de numérisation ». Pour boucler son budget d’investissement et développer ses activités, l’association doit récolter près de 60000 euros et fait appel à la générosité de la communauté arménienne de France.
La soirée s’est poursuivie avec la prise de parole de Félix Weygand conseiller général délégué des Bouches-du-Rhône qui a réitéré son soutien à l’association insistant sur la qualité et la rapidité d’exécution des travaux. Ce fût ensuite le tour de Garo Hovsépian, Maire des 13° et 14° arrondissements de Marseille qui s’est félicité de voir naître dans ce quartier un nouveau lieu développant un peu plus la diversité culturelle de Marseille. Garo Hovsépian a ensuite rendu un vibrant hommage à Jean Garbis Artin le fondateur de l’association. Il évoqua la fidélité sans faille de celui qui fut un modèle, un frère aîné et aussi un père spirituel. L’émotion fût très grande pour tous les personnes présentes lorsque Garo Hovsepian a remis un bouquet à Jean Garbis Artin afin que ce dernier aille dès le lendemain, le déposer sur la tombe de ses parents et rendre hommage à travers eux, à tous ces rescapés du génocide arménien et ces réfugiés démunis de tout, sauf de dignité, qui vinrent s’installer à Marseille au début du XXème siècle. Ensuite, Sylvie Andrieux députée et vice-présidente de la Région PACA s’est exprimée rappelant qu’il était « important de faire partager aux anciens et aux nouvelles générations, l’histoire des Arméniens de Marseille et ce que représente l’immigration arménienne » concluant sur la fierté de participer, grâce à une participation financière de la Région PACA à hauteur de 78% des investissements, à la construction de ce lieu « on laisse une trace et c’est important ! ».
L’émotion est montée d’un cran pour la dernière intervention, lorsque le fondateur de l’association Jean Garbis Artin a débuté son discours honorant, des sanglots dans la voix, la mémoire de son père, un homme modeste, juste et droit que ses compagnons, originaires comme lui de Sepastia, surnommaient « Gandhi ». La gorge nouée et les larmes aux yeux, l’auditoire a écouté l’histoire de cet orphelin qui apprit la langue arménienne en traçant les lettres de Machdots avec un bâton, sur le sable du désert de Mésopotamie. Cette soif d’apprendre et cette faim de culture furent apaisées par l’acquisition systématique, presque obsessionnelle, de journaux, revues et livres que cet homme de conviction et serviteur de l’Eglise Apostolique Arménienne, a conservé religieusement toute sa vie. Ce fut la chance de Jean Garbis Artin que d’hériter de ce patrimoine culturel inestimable. Il devint alors, comme il le dit lui-même, un « archiviste de la mémoire ». Il raconta comment, alors qu’il était jeune scout, il fit le rêve de créer un lieu accessible à tous pour transmettre tous ces fragments de la mémoire de nos parents et grands parents.
A son tour, il fonda un foyer avec une femme qui lui donna deux enfants. Il travailla durement, tout en poursuivant l’œuvre de son père, collectant inlassablement tous les documents liés à la diaspora arménienne. Et quand le temps de la retraite arriva, il en profita pour donner naissance à son troisième enfant : A.R.A.M. Aujourd’hui, le rêve du scout Garbis est devenu réalité et l’enfant ARAM a gagné en maturité pour devenir une structure de référence ouverte sur le monde, communautaire mais non communautariste selon les vœux de son fondateur. Ce dernier termina son allocution en entonnant un chant révélateur de son attachement aux deux cultures qui ont façonné sa vie : la Marseillaise, traduite en arménien en 1906. Après l’avoir longuement ovationné, les nombreux invités se sont retrouvés pour partager le verre de l’amitié et déguster des spécialités arméniennes.
Lorsque tous furent tous partis, Jean Garbis Artin s’est assis sur une chaise dans un coin de « l’atelier d’ARAM ». Il était serein et souriait. Il savait bien qu’à ses côtés, invisible pour nous, « Gandhi » veillait sur lui avec fierté.